Noël est annulé !

« Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda, car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël » (Mt 2, 6). Ces paroles que nous entendrons dans nos églises provoqueront sans doute un pincement au cœur cette année. Car alors que j’écris ces lignes, des ouvriers sont à l’œuvre pour enlever les décorations sur la place de la Nativité à Bethléem. Il n’y aura pas non plus le grand arbre de Noël que l’on retrouve sur les grandes places du monde.

Bethléem, c’est le lieu de la naissance du Sauveur. Mais c’est aussi une ville de Cisjordanie, en Palestine. Même si la guerre se déroule dans la bande de Gaza à moins de 75 km de Bethléem, c’est toute la Palestine qui est touchée. Derrière le mur de la honte, le cœur n’est pas à la fête… Dans la bande de Gaza, des frères et des sœurs palestiniens sont menacés quotidiennement par les bombardements. Des familles sont endeuillées. La souffrance est encore plus grande avec les déplacements forcés. L’incertitude tenaille tous les habitants de Gaza avec l’arrivée de l’hiver. Après l’attentat terroriste ignoble du 7 octobre dernier, les représailles israéliennes contre le Hamas – et contre le peuple palestinien, ayons l’audace de le dire ! – plus de 15,000 Palestiniens ont trouvé la mort. C’est le massacre des innocents avant la naissance du Sauveur !

C’est dans ce contexte que les évêques des Églises chrétiennes de Jérusalem ont publié une déclaration commune : « Nous ne vivons pas une époque normale. Depuis le début de la guerre contre Gaza, des milliers d’innocents ont perdu la vie et beaucoup d’autres ont été blessés, tandis que les gens vivent dans l’angoisse pour ceux dont le destin reste inconnu. C’est pourquoi nous, évêques et responsables d’Églises de Jérusalem, appelons nos paroisses à laisser de côté les célébrations inutiles cette année. »

Cela fait près de deux mois que cette guerre horrible alimente les chaînes de nouvelles et rougit les journaux avec le sang des victimes. Il y a eu ces derniers jours quelques signes d’espoir avec la libération d’une centaine d’otages et quelques jours de trêve. Mais hélas, voilà que la violence reprend de plus belle.

Montre-nous ton visage !

Quand la distance entre Bethléem et Montréal dépasse les 8800 km, on oublie vite la détresse humaine de nos frères et de nos sœurs. La métropole québécoise s’est revêtue de ses plus beaux atours pour illuminer la saison festive. Alors que les coupures d’électricité menacent la vie des Palestiniens, nous dépenserons bien des kilowatts pour faire jaillir les cris de joie et d’émerveillement des enfants, petits et grands. Alors que nos frères et sœurs souffriront du froid et de la faim, nous entrerons dans la folie de la surconsommation, au risque de vivre à crédit pendant les prochains mois, afin que rien ne manque à nos célébrations.

Peut-être pourrions-nous écouter l’appel des pasteurs de Jérusalem et éviter « les célébrations inutiles cette année »… Peut-être pourrions-nous prendre la décision des autorités municipales de Bethléem et limiter nos décorations… Peut-être même que dans notre crèche, au lieu d’une figurine en plâtre ou en cire qui représente l’Enfant Jésus, on pourrait le remplacer avec la photo d’un enfant palestinien !

Car ce sont avec les traits de cet enfant que Jésus s’est incarné. Il est venu parmi les nôtres, dans la réalité de son temps et de sa culture. Il ressemblait à tous les enfants de Palestine. En ce Noël, il ressemble encore davantage aux enfants de Gaza, car ce sont eux qui souffrent le plus ces jours-ci.

Durant le temps de l’avent, nos paroisses nous ont invités à approfondir le thème « Viens, Seigneur ! Montre-nous ton visage ! » Nos visuels aseptisés n’ont pas présenté l’horreur de la guerre. Ils n’ont pas voulu verser dans le sensationnel pour ne pas heurter nos sensibilités. Mais pourtant, le visage de l’Enfant de la crèche d’il y a 2000 ans ressemble tellement à celui de l’enfant de Palestine d’aujourd’hui. Au temps de l’empereur Auguste et du gouverneur Quirinius, il n’y avait pas de place pour cet Enfant… Et aujourd’hui ?

Cette année, le visage du Sauveur se présente sous les traits d’un enfant palestinien de 8 ans qui a tout perdu. Il a perdu son père, sa mère quand la roquette a soufflé leur maison. Il a perdu ses frères et sœurs. Il a perdu même son ourson en peluche. Et c’est un médecin, un étranger, qui le serre tout tremblant dans ses bras pour essayer de lui apporter un peu de réconfort et apaiser ses peurs.

Cette année, le visage du Sauveur est celui d’un petit enfant nouveau-né, exilé en Égypte pour tenter de sauver sa vie, car l’incubateur de Gaza ne fonctionne plus faute de courant électrique. Il ressemble étrangement à l’Enfant emmailloté tout aussi vulnérable qu’une jeune mère dépose dans une crèche d’animaux car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune.

Cette année, le visage du Sauveur est celui de toutes les misères du monde. Ce visage a les traits du migrant qui tente de trouver une terre d’accueil. Ce visage nous renvoie les yeux de l’itinérant qui rêve d’une deuxième chance. Ce visage rayonne l’espérance des familles appauvries qui espèrent que demain sera meilleur. Ce visage, c’est aussi à la fois celui de cette jeune mère qui vit ses derniers jours, consumée par le cancer ; c’est à la fois celui de la voisine qui te sourit à chaque matin ; c’est à la fois celui du collègue de travail qui lutte avec toi pour un monde nouveau; c’est à la fois celui de ton père, de ta mère, de ton frère et de ta sœur qui désirent tout simplement trouver le bonheur ! Et c’est aussi celui de l’enfant de Palestine…

Ayant vu ce visage, ayant croisé ce regard, quelle sera notre réponse ? Car Noël dépendra de ce que nous ferons de ce regard. Viens, Seigneur ! Notre monde a tant besoin d’un Sauveur ! Notre monde a tant besoin d’être renouvelé, restauré ! Montre-nous ton visage ! En reconnaissant tes traits, donne-nous le courage de l’engagement au quotidien, pour faire advenir ton règne. Alors, peut-être, que Noël 2023 ne sera pas annulé… Il en dépend de toi, de moi, de nous.

Que l’Enfant de Palestine soit plus que jamais Prince de la paix ! Joyeux Noël ! Bonne, heureuse et sainte année 2024 !

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