Le 15 juin dernier, je recevais la confirmation que j’avais été nommé pour offrir ce service au Saint-Père lors de sa prochaine visite au Canada. Je serais donc à ses côtés, presqu’à tout instant, pour pouvoir lui traduire les conversations et transmettre ses mots à ses interlocuteurs. De plus, on m’avait demandé de faire deux traductions en alternance pour son premier et son dernier discours au pays ; mais un changement de dernière minute a fait que j’ai traduit huit des neuf grandes interventions du Pape François lors de son pèlerinage pénitentiel au pays.
Je suis donc parti le 22 juillet dernier vers Edmonton où le pape François arriverait quelques jours plus tard. Je m’étais préparé les dernières semaines en lisant différents articles sur l’objectif du voyage : la réconciliation avec les peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits afin d’ouvrir la voie à la guérison et à l’espérance. J’ai pris connaissance des rencontres entre le pape et différents groupes des autochtones à Rome au printemps dernier. J’ai pris conscience que ce périple avait la possibilité d’un jour nouveau pour nos frères et sœurs autochtones et pour le « vivre ensemble » de tous les Canadiens et Canadiennes.
Il était 4:15 heures du matin en marchant vers la porte d’embarquement lorsque je vois en librairie à l’aéroport un roman de Michel Jean, un journaliste et écrivain d’origine innue, Le vent en parle encore. Ce roman montre l’horreur et la souffrance vécue dans des pensionnats autochtones à travers la vie de Virginie, Marie et Charles. Les années passent et 77 ans plus tard, la douleur est tout aussi vive.
Alors que l’avion atterrit à Edmonton, je termine la dernière page du roman… et je suis bouleversé. Je me dis que c’est un roman, que sans doute il y a bien des pages qui ont été exagérées… Et pourtant, au long de la semaine, je vais voir, entendre et toucher des histoires qui ne sont plus des pages de roman, mais des pans de vie qui ont été blessés et meurtris à tout jamais par l’expérience des écoles résidentielles. Ce ne sont plus des personnages d’un roman mais des frères et des sœurs autochtones ; ils s’appellent Gérald, Wilton, Rosanne ou Marie-Anne.
Le 25 juillet, le pape François se rend à Maskwacis, à environ 100 km d’Edmonton, pour une première rencontre avec les autochtones. En arrivant, il prendra le temps de prier dans la petite église. Longeant les murs de l’église, de jeunes autochtones soutiennent une longue banderole orange sur laquelle sont inscrits les noms des écoles résidentielles et les noms des étudiants qui y sont décédés. Plus de 4000 noms… chacun avec une histoire, une famille, une communauté. Le pape François prendra le temps de faire le tour de l’église, s’arrêtant pour prier, pour lire des noms, pour faire mémoire. Il avance lentement comme pour s’imprégner de toute cette souffrance. Arrivé au bout, il prend la banderole dans ses mains et l’embrasse.
C’est alors que nous mettons en marche pour arriver au cimetière où le Saint Père, seul, priera en silence. Après de longues minutes, nous continuons notre marche pour arriver au lieu de rencontre, sans d’abord s’arrêter devant le lieu où existait l’école résidentielle. C’est là que le pape est accueilli par les chefs autochtones du lieu qui marcheront avec lui jusqu’au lieu de la rencontre.
Les chants traditionnels, les danses, les discours officiels ouvrent la voie pour que le Saint Père puisse adresser ses premiers mots en terre canadienne aux peuples autochtones. On lui approche un micro et je me dirige vers l’autre micro. Tout ému par les personnes et les lieux, les voix et les silences, je reprends en anglais les mots du Saint-Père. Et les mots sont lourds de sens.
« Je vous remercie de m’avoir fait entrer au cœur de tout cela, d’avoir extrait les lourds fardeaux que vous portez en vous, d’avoir partagé avec moi ce souvenir poignant. Aujourd’hui, je suis ici, sur une terre qui porte, conjointement à une mémoire ancestrale, les cicatrices de blessures encore ouvertes. Je suis ici parce que la première étape de ce pèlerinage pénitentiel au milieu de vous est celle de renouveler la demande de pardon et de vous dire, de tout mon cœur, que je suis profondément affligé : je demande pardon pour la manière dont, malheureusement, de nombreux chrétiens ont soutenu la mentalité colonisatrice des puissances qui ont opprimé les peuples autochtones. Je suis affligé. Je demande pardon, en particulier, pour la manière dont de nombreux membres de l’Église et des communautés religieuses ont coopéré, même à travers l’indifférence, à ces projets de destruction culturelle et d’assimilation forcée des gouvernements de l’époque, qui ont abouti au système des écoles résidentielles. »
Ces mots, le Pape François les reprendra tout au long de son voyage. Mais plus que les mots, il y aura des gestes, des regards, des temps pour écouter, des silences, des larmes et surtout un amour débordant de tendresse et de compassion pour recréer des ponts avec des frères et des sœurs blessés. Il y aura l’espérance que ce nouveau pas pour aller à la rencontre de l’autre permettra une nouvelle aurore de guérison qui « fait toute chose nouvelle ».
À mesure que la semaine avance, j’ai l’intime conviction que ma voix peut aussi apporter consolation et courage. Ce ne sont pas mes mots, mais ils ont mon accent, mon émotion, mon désir de rejoindre l’autre au plus intime de son cœur. Que chaque frère et chaque sœur autochtone puissent entendre non seulement ma voix mais les mots du Pape qui les invitent à entendre l’écho du Créateur qui parle à chacun de ses enfants et leur redit combien est grande leur dignité d’enfant du Père, combien ils sont aimés de toute éternité!
Il y aurait encore tant à dire de cette semaine. Combien de rencontres mémorables, combien de visages rayonnants lorsque le Pape s’approchait des gens, combien de joie dans les rues de Québec au passage de la papemobile, combien de guérisons réalisées… Chacun et chacune a fait son propre pèlerinage intérieur au long de cette visite apostolique. Et le voyage n’est pas encore fini! Au départ d’Iqaluit, alors que ma mission de traducteur du Saint-Père prenait fin, j’aurais pu dire « mission accomplie ». Mais la vérité toute simple est que le travail ne fait que commencer. Être la voix du Pape, c’est aussi porter son message de paix, de réconciliation, de guérison et d’espoir… à chaque jour!